Les demandeurs d’asile face au confinement

Par Léa – Clinicienne CJH Rabat

Face à la propagation du Covid-19, le Maroc a à son tour pris des mesures préventives le 19 mars dernier. Après avoir décidé de suspendre tous les vols internationaux, d’annuler tous les événements publics de plus de cinquante personnes et de fermer bon nombre de lieux publics, le gouvernement a finalement déclaré l’état d’urgence sanitaire et annoncé une période de confinement total obligatoire à domicile. Comment les demandeurs d’asile vivent-ils ce confinement ? 

Bien que le confinement total affecte l’économie et la société marocaine dans son ensemble, les effets de ces mesures sont pour les personnes en situation irrégulière et demandeuses d’asile sans surprise décuplés. Le Vice-Président de la section Nador de l’Association Marocaine des Droits Humains Omar Naji souligne que “le seul point positif de ce coronavirus pour les migrants, c’est que les attaques des forces auxiliaires ont cessé. Avant les opérations de police menées contre leurs campements étaient presques quotidiennes”. Si elles sont à présent protégées des refoulements de la Sûreté Nationale qui a désormais d’autres préoccupations, ces populations demeurent particulièrement exposées à la contamination et donc à la transmission du virus. D’autant plus lorsqu’elles vivent dans la rue ou bien dans des logements insalubres et surpeuplés. Cette situation peut en effet favoriser la propagation parmi des personnes qui sont déjà en mauvaise santé en raison de leurs conditions de vie. En effet, selon l’association The Last Rights qui protège la dignité des migrants décédés, “sans statut [administratif] et sans accès aux installations et aux droits dont jouit la communauté sédentaire, tous sont exposés à un degré de risque plus élevé.

En outre, l’accès à l’information est limité, nombreuses sont les fake news qui se propagent, malgré les efforts des quelques associations toujours actives. Celles-ci redoublent d’efforts de prévention mais ont aussi été contraintes de réduire leurs activités. Les aides financières sanitaires ou bien celles destinées à la construction des abris sont suspendues ou considérablement diminuées. Plusieurs centres d’hébergement ont fermé leurs portes. Selon Mamadou (le prénom a été changé), demandeur d’asile mineur non accompagné suivi par la Clinique Juridique Hijra, le centre d’hébergement dans lequel il se trouve, à Rabat, est toujours ouvert. Cependant il est clos pour les personnes extérieures : celles-ci, qui recevaient des aides pour payer leur logement ne peuvent plus venir les chercher, ce qui les place dans une situation difficile puisqu’elles ne sont pas exemptées de loyers. Mamadou regrette surtout le manque d’information qui est selon lui très anxiogène. Un autre demandeur d’asile suivi par la CJH ne comprend pas pourquoi on lui a mis une amende lors d’un déplacement dans la rue. Cela témoigne du fait que les demandeurs d’asile ne sont pas tous informés sur l’état actuel de la situation et ne comprennent pas toujours les restrictions imposées. Ainsi privés de leur liberté de circuler, de travailler (souvent dans le secteur informel), des aides habituelles, cela entraîne une vague de panique et d’incompréhension pour les personnes dépendantes de ces aides, qui ne comprennent pas quels seront les impacts sur leurs procédures administrative. D’autant plus que la Direction générale de la Sûreté Nationale a décidé pour quinze jours renouvelables l’arrêt du travail au sein des centres d’enregistrement des données identitaires et les services de contrôle des étrangers. Le Haut Commissariat aux Réfugiés quant à lui a partagé sa volonté de continuer à exécuter son mandat en dématérialisant les procédures et en mettant en place des lignes directes en français, anglais et arabe pour répondre aux inquiétudes. Pour la CJH, c’est une bonne nouvelle puisque le dépôt d’une demande d’asile ne nécessitera plus de déplacements vers Rabat. Toutefois, cela risque aussi d’accroître la fracture numérique, en isolant davantage ceux qui ne savent ni lire ni écrire… 

Puisqu’il est évident qu’ “aider les migrants à éviter et à atténuer [la propagation du] virus est dans l’intérêt public de tous”, les réactions ont été rapides. Des mesures concrètes ont déjà été prises comme au sud d’Agadir, à Inezgane où des salles couvertes ont été mises à disposition pour accueillir toutes les personnes “vivant en marge de la société dans des conditions saines”. Jamila El Mossali, la ministre de la Solidarité, du Développement social, de l’Egalité et de la Famille a annoncé l’ouverture de centres d’hébergements dans des salles couvertes ou des centres culturels à Oujda, Agadir, Tanger, Casablanca, Rabat et Kénitra… D’autres associations à Casablanca, Agadir et Tiznit se sont déplacées pour fournir aux migrants subsahariens et aux sans-abris des couvertures, de l’eau, des stérilisateurs à alcool… En sus de cette réponse de court terme, le mouvement associatif propose diverses mesures à mettre en oeuvre au plus vite au niveau national. Dans un mémorandum signé le 22 mars par six associations, ces dernières invitent le gouvernement à traduire systématiquement les annonces en anglais et en français pour une meilleure compréhension des enjeux par tous. Elles recommandent aussi la prolongation automatique des cartes de séjour jusqu’à la fin de la période de confinement et encouragent l’accès aux soins et aux services de santé sans discrimination au regard de la situation administrative des personnes. Le GADEM demande aussi la prolongation automatique des documents autorisant le séjour au Maroc tout en laissant la possibilité une fois le confinement terminé de pouvoir renouveler les documents selon la loi en vigueur. L’Organisation Marocaine des Droits Humains encourage le gouvernement et les collectivités territoriales à assurer l’hébergement des demandeurs d’asile, des réfugiés dans des lieux sûrs et à organiser rapidement l’octroi d’attestations de déplacements dérogatoires. Elle sollicite un soutien aux associations notamment en ce qui concerne la distribution d’eau. L’association The Last Rights Project recommande quant à elle l’identification et la collecte de données sur les décès des personnes migrantes liés de près ou de loin au Covid-19. Elle demande aussi à ce que les familles en soient systématiquement informées et à ce que les enterrements suivent dans la mesure du possible les traditions de la personne en question.