Indicateurs du PMM – Objectif 18: Investir dans le perfectionnement des compétences et faciliter la reconnaissance mutuelle des aptitudes, qualifications et compétences

Article de blog écrit par Elisa Fornalé et Aylin Yildiz (Institut de Commerce Mondial, Université de Bern) et publié en anglais sur le blog du Refugee Law Initiative examinant la mise en œuvre du Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière (PMM). Traduction réalisée par Emmanuelle Daerys, Thomas Lautrou-Cabasson et Clotilde Girard (Cliniciens de la Clinique Juridique Hijra).


L’Organisation internationale du travail (OIT) a récemment estimé qu’environ 60% des migrants dans le monde sont des travailleurs migrants. Pour ces derniers, actuellement et dans le futur, le développement et la reconnaissance de leurs compétences sont essentiels. À cette fin, les États se sont engagés à investir dans des solutions novatrices au titre de l’objectif 18 du PMM.

Le respect de cet engagement exige une coopération étroite entre les États, avec la participation de toutes les parties prenantes, y compris, mais sans s’y limiter, les travailleurs migrants, les employeurs, les syndicats et les institutions éducatives. Les obligations suivantes visent à aider les États à orienter leurs efforts de coopération pour mettre en œuvre l’objectif 18.

Reconnaissance mutuelle des aptitudes, qualifications et compétences :

La reconnaissance des aptitudes, qualifications et compétences peut se faire à plusieurs niveaux. Cela peut se faire de manière autonome, lorsqu’un État choisit de reconnaître des compétences spécifiques des travailleurs. Cela peut se faire bilatéralement, ce qui signifie que deux États parviennent à un accord pour reconnaître mutuellement des compétences spécifiques. Cela peut aussi se produire au niveau régional ou multilatéral. Le PMM traite spécifiquement de la condition de réciprocité qui doit être rattachée aux accords de reconnaissance bilatéraux, régionaux et multilatéraux. Les instruments suivants encadrent les obligations des États dans les accords de reconnaissance mutuelle.

La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990 (CIDPM) a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies et est entrée en vigueur en 2003. Cet instrument joue un rôle central dans la reconnaissance des droits des travailleurs migrants, en empêchant l’exploitation des travailleurs migrants et des membres de leur famille tout au long du processus migratoire.

L’article 52 (2) circonscrit spécifiquement la reconnaissance des compétences comme suit :

Pour tout travailleur migrant, un État d’emploi peut :

  1. Limiter l’accès à des catégories limitées d’emplois, de fonctions, de services ou d’activités lorsque cela est nécessaire dans l’intérêt du présent État et prévu par la législation nationale ;
  2. Limiter le libre choix de l’activité rémunérée conformément à sa législation relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises en dehors de son territoire. Toutefois, les Etats parties intéressés s’efforcent de prévoir la reconnaissance de ces qualifications.

L’article 25(1) dispose en outre que :

Les travailleurs migrants bénéficient d’un traitement non moins favorable que celui qui s’applique aux ressortissants de l’Etat d’emploi en matière de rémunération et :

  1. Les autres conditions de travail, c’est-à-dire les heures supplémentaires, la durée du travail, le repos hebdomadaire, les congés payés, la sécurité, la santé, la cessation de la relation de travail et toutes autres conditions de travail qui, selon la législation et la pratique nationales, sont couvertes par ces conditions ;
  2. D’autres conditions d’emploi, c’est-à-dire l’âge minimum d’admission à l’emploi, la limitation du travail et toute autre question qui, selon la législation et la pratique nationales, est considérée comme une condition d’emploi.

Le Comité des Nations Unies sur les travailleurs migrants, qui surveille la mise en œuvre de cette convention, a spécifiquement abordé cette question dans ses “Observations finales sur le rapport initial de la Turquie” (CMW/C/TUR/CO/1). Le Comité a noté que :

Des règles de procédure strictes et les difficultés rencontrées dans la reconnaissance des certificats professionnels conduisent les travailleurs migrants à occuper des emplois incompatibles avec leur parcours professionnel et éducatif, y compris en tant que travailleurs non qualifiés.

Compte tenu de cette observation, le Comité recommande à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que sa législation et ses politiques nationales soient conformes aux dispositions de la Convention et d’envisager de simplifier les procédures relatives aux demandes de permis de travail et à la reconnaissance des certificats professionnels étrangers.

Indicateur :

Les droits des travailleurs migrants sont inscrits dans une Convention des Nations Unies contraignante, qui a également été adoptée par l’Assemblée générale. Bien qu’il n’ait été ratifié jusqu’à présent que par 54 pays, la CIDPM fournit une base utile pour l’examen des pratiques nationales. Le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille surveille l’application de la Convention et peut recommander aux États parties de prendre les mesures nécessaires pour simplifier les procédures de reconnaissance.

Outre le Conseil international des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille, l’OIT a encouragé l’adoption de deux conventions contraignantes qui complètent les dispositions de la Convention de l’ONU. Ces deux conventions de l’OIT défendent les principes de non-discrimination et de traitement non moins favorable pour les travailleurs migrants. Les États devraient examiner leurs systèmes nationaux de reconnaissance des qualifications au moins tous les cinq ans pour s’assurer qu’ils sont transparents et accessibles aux travailleurs migrants.

La Convention (n° 97) sur les travailleurs migrants (révisée) de 1949, ratifiée par 49 États, vise à faire en sorte que chaque membre maintienne ou puisse s’assurer qu’il existe un service adéquat et gratuit d’assistance aux travailleurs migrants. Bien qu’il n’y ait pas de disposition spécifique sur les accords de reconnaissance mutuelle dans cette Convention, certaines obligations générales s’appliqueraient. En vertu de l’article premier de la Convention, les États parties doivent mettre à la disposition de l’OIT et des autres Membres les politiques, lois et règlements nationaux concernant l’emploi des travailleurs migrants. L’article 6 de la Convention réaffirme les principes de non-discrimination et de traitement non moins favorable.

L’article 7 de cette Convention fixe comme suit les conditions de la prestation de services d’emploi :

  1. Chaque Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s’engage à ce que son service concernant l’emploi et les autres services liés à la migration coopèrent, le cas échéant, avec les services correspondants des autres Membres.
  2. Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s’engage à faire en sorte que les services rendus par son service public de l’emploi aux travailleurs migrants soient rendus gratuitement.

La Convention (n° 143) sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires) de 1975, ratifiée par 23 États membres, vise à promouvoir l’égalité des chances et de traitement des travailleurs migrants.

L’article 14 de cette Convention fait spécifiquement référence à la reconnaissance :

Un état membre peut :

  1. subordonner le libre choix de l’emploi, tout en garantissant aux travailleurs migrants le droit à la mobilité géographique, à la condition que :
    • le travailleur migrant ait résidé légalement sur son territoire aux fins d’un emploi pendant une période déterminée ne dépassant pas deux ans ou,
    • le travailleur ait accompli son premier contrat de travail si ses lois ou règlements prévoient des contrats à durée déterminée inférieure à deux ans,
  2. après consultation appropriée des organisations représentatives des employeurs et des travailleurs, prendre des règlements concernant la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises en dehors de son territoire, y compris les certificats et diplômes ;
  3. restreindre l’accès à des catégories limitées d’emplois ou de fonctions lorsque cela est nécessaire dans l’intérêt de l’État.

La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations examine les rapports obligatoires des gouvernements sur les mesures prises pour appliquer les conventions de l’OIT qui ont été ratifiées. Le Comité fait référence à la reconnaissance des qualifications dans ses recommandations.  Par exemple, à la suite de son examen de la Stratégie d’établissement et d’intégration des migrants de la Nouvelle-Zélande, qui a été adoptée en 2014, le Comité a déclaré qu’en ce qui concerne la reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger, le Comité prend note de l’indication du gouvernement selon laquelle, bien que la question relève de la responsabilité de l’organisme de réglementation de chaque profession, le gouvernement encourage les organismes de réglementation à être conscients de la nécessité de faciliter la circulation internationale des personnes.

Cette indication du Gouvernement néo-zélandais n’a pas été jugée adéquate ; par conséquent la Commission demande en outre au gouvernement de fournir des informations sur tout fait nouveau concernant la reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger.

Enfin, une disposition importante sur le rôle de la reconnaissance mutuelle dans le contexte du déplacement des personnes physiques a été incluse dans l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) par les Membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’article VII(1) de l’AGCS prévoit les accords de reconnaissance mutuelle suivants :

Afin de respecter ses normes ou critères d’autorisation, d’octroi de licences ou de certification des fournisseurs de services, et sous réserve des prescriptions du paragraphe 3, un Membre pourra reconnaître la formation ou l’expérience acquise, les prescriptions respectées ou les licences ou certifications accordées dans un pays donné. Cette reconnaissance, qui peut être obtenue par voie d’harmonisation ou autrement, peut être fondée sur un accord ou un arrangement avec le pays concerné ou peut être accordée de manière autonome.

L’article VII(2) de l’AGCS oblige le(s) Membre(s) qui ont conclu un accord de reconnaissance à offrir la même possibilité aux autres Membres intéressés. Par conséquent, la reconnaissance accordée ne doit pas être exclusive. La disposition pertinente se lit comme suit :

Un Membre qui participe à un accord ou à un arrangement du mentionné au paragraphe 1, existant ou futur, donnera aux autres Membres intéressés des possibilités adéquates de négocier leur adhésion à un tel accord ou arrangement ou de négocier des accords ou arrangements comparables avec lui. Dans les cas où un Membre accordera la reconnaissance de façon autonome, il donnera à tout autre Membre une possibilité adéquate de démontrer que les études, l’expérience, les licences ou les certificats obtenus ou les exigences satisfaites sur le territoire de cet autre Membre devraient être reconnus.

En outre, selon l’article VII(3) de l’AGCS, les Membres ne sont pas autorisés à accorder la reconnaissance d’une manière qui constituerait un moyen de discrimination ou une restriction déguisée au commerce “entre pays dans l’application de ses normes ou critères pour l’autorisation, la licence ou la certification des fournisseurs de services”.

Lors de l’application de l’article VII de l’AGCS, il faut garder à l’esprit les exceptions générales stipulées dans la Partie II de l’Accord. Celles-ci stipulent que, indépendamment des obligations pertinentes de l’AGCS, les Membres sont autorisés, dans des circonstances spécifiques, à restreindre le commerce en cas de graves difficultés de balance des paiements, de problèmes de santé ou d’ordre public, ou à poursuivre des intérêts essentiels de sécurité.

En outre, l’annexe sur la circulation des personnes physiques précise que les États membres sont libres de prendre des mesures concernant la citoyenneté, la résidence ou l’accès au marché du travail sur une base permanente. Dans le cas d’une reconnaissance autonome des compétences des fournisseurs de services, il est conseillé aux États membres d’informer l’OMC pour des raisons de transparence.

Le 29 mai 1997, le Conseil du commerce des services de l’OMC a adopté des lignes directrices volontaires pour les accords de reconnaissance dans le secteur comptable (S/L/38). Ces lignes directrices peuvent servir de modèle aux États.

Indicateur :

Les membres de l’OMC peuvent conclure des accords de reconnaissance mutuelle pour reconnaître les compétences des fournisseurs de services. Toutefois, de tels accords ne doivent pas constituer un moyen de discrimination ou une restriction déguisée au commerce. Les autres membres doivent avoir la même possibilité de conclure une entente de reconnaissance ; par conséquent, le processus de reconnaissance ne doit pas être exclusif.

Développement des compétences

Le développement des compétences découle de la pleine réalisation du droit au travail.

L’article 6(2) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) stipule que les mesures que tout Etat partie au présent Pacte doit prendre pour assurer le plein exercice de ce droit [le droit au travail], doivent comprendre des programmes d’orientation et de formation techniques et professionnelles, des politiques et des techniques propres à assurer un développement économique, social et culturel constant et le plein emploi productif et régulier dans des conditions qui garantissent à chacun les libertés politiques et économiques fondamentales.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU est responsable du suivi du PIDESC. L’Observation générale n°18 (E/C.12/GC/18) indique que l’application effective de l’article 6 dépend, entre autres, des conditions suivantes :

  • Le principe de non-discrimination à l’égard des travailleurs migrants est applicable à l’interprétation de l’article 6. Ce principe est consacré à l’article 2.2 du PIDESC et à l’article 7 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Le Comité souligne la nécessité d’élaborer des plans d’action nationaux pour respecter et promouvoir ce principe par toutes les mesures appropriées, législatives ou autres.
  • Les obligations de protéger le droit au travail comprennent, entre autres, le devoir des États parties d’adopter une législation ou de prendre d’autres mesures garantissant l’égalité d’accès au travail et à la formation et de veiller à ce que les mesures de privatisation ne portent pas atteinte aux droits des travailleurs.
  • Garantir le droit d’accès à l’emploi, en particulier pour les personnes et les groupes défavorisés et marginalisés, leur permettant de mener une vie digne.
  • Disponibilité : Les États doivent disposer de services spécialisés pour aider et soutenir les individus afin de leur permettre d’identifier et de trouver un emploi disponible.
  • Accessibilité : Le marché du travail doit être ouvert à tous ceux qui relèvent de la juridiction des États parties. Cela a trois dimensions. Premièrement, toute discrimination dans l’accès à l’emploi et son maintien pour des motifs tels que l’origine nationale ou sociale et le statut social ou politique est interdite. Deuxièmement, l’accessibilité physique, y compris pour les personnes handicapées, doit être protégée. Troisièmement, le droit de rechercher, d’obtenir et de diffuser des informations sur les moyens d’accéder à l’emploi par la création de réseaux de données sur le marché du travail aux niveaux local, régional, national et international doit être respecté.
  • Acceptabilité et qualité : Les États doivent être vigilants en ce qui concerne les diverses composantes de la protection du droit au travail, y compris le droit à des conditions justes et favorables et à des conditions de travail sûres.

Toutefois, comme il est expliqué plus en détail dans la Déclaration du Comité sur “Les devoirs des États envers les réfugiés et les migrants en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels” (E/C.12/2017/1), il existe une exception limitée au principe de la non-discrimination fondée sur la nationalité. Cette exception ne s’applique qu’aux pays en développement et ne concerne que les droits économiques. Le Comité a en outre précisé cette exception comme suit :

tout en reconnaissant les préoccupations liées à la protection de l’accès à l’emploi des nationaux, le Comité note toutefois qu’un migrant qui a accès à un emploi ou à un travail indépendant contribuera généralement à l’économie nationale (alors qu’il peut avoir besoin d’une assistance sociale s’il est laissé sans aucun moyen de gagner un revenu). Il note également que, si l’éducation a parfois été décrite comme un droit économique, le droit de chaque enfant à l’éducation devrait être reconnu par les Etats indépendamment de la nationalité ou du statut juridique de ses parents.

Indicateur :

La loi dispose que le droit au travail peut être pleinement réalisé par le développement des compétences. Le principe de non-discrimination s’applique à l’interprétation de ce droit et assure la protection des travailleurs migrants. La disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité sont quatre obligations générales que les États doivent remplir lorsqu’ils concluent des accords de coopération ou adoptent des mesures pour développer les compétences des travailleurs migrants. Toutefois, dans le cas des pays en développement, il existe une exception à l’application du principe de non-discrimination en ce qui concerne certains droits économiques (par exemple, cela exclut le droit de chaque enfant à l’éducation).