Article de blog écrit par Christina Oelgemoller (Docteur, Loughborough University) et publié en anglais sur le blog du Refugee Law Initiative examinant la mise en œuvre du Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière (PMM). Traduction réalisée par Clotilde Girard, Laure Hédrich et Bastien Gattegno (Cliniciens de la Clinique Juridique Hijra).
L’objectif 19 joue un rôle important dans le contexte du Pacte mondial car c’est l’un des objectifs qui met l’accent sur la perspective que les « migrants et diasporas » peuvent participer à l’instauration du développement durable. Le paragraphe 35 (h) appelle les gouvernements à instaurer une participation constructive pour atteindre les objectifs de développement durable « en facilitant des modalités souples ». Cela soulève la question de savoir ce qui doit être facilité et ce que les « modalités souples » pourraient être.
L’objectif 19 reflète une tension qui concerne la question du « qui » de la facilitation. L’imagination concernant les « migrants et diasporas contributeurs » est entachée d’hypothèses problématiques sur la linéarité de la mobilité, l’appartenance à une communauté et les notions confuses de loyauté et d’exigences en matière d’intégration dans les communautés d’accueil tout comme en cas de retour à une origine imaginaire. Les groupes de migrants et de diasporas peuvent appartenir à de multiples endroits, les gouvernements semblent trouver cette idée déroutante. En d’autres termes, la conception des migrants et des diasporas est en conflit avec la réalité vécue par nombre de ces groupes de migrants et de la diaspora. Cette tension est un facteur qui rend difficile la mise en œuvre de cet objectif, car une telle conceptualisation ne permet pas réellement de “flexibilité”. Ce qui suit est que toute personne amenée à contribuer au développement durable a besoin d’un statut juridique garantissant la flexibilité. Un statut juridique sûr et fiable facilite la circulation des idées et des biens, mais aussi des personnes qui font que les idées et les biens circulent. Cette circulation assure alors la durabilité ainsi que le développement. Quelles sont alors ces modalités, ou du moins les conditions préalables à l’établissement de modalités souples ? Dans le contexte de l’objectif 19, les modalités flexibles seraient toutes les mesures facilitant l’engagement des personnes mobiles en matière de développement durable. Les deux aspects les plus importants en la matière sont la non-discrimination et la liberté de circulation en tant que conditions préalables pour pouvoir jouir d’un statut sûr qui facilite l’activité politique, économique et sociale afin de générer ce qui conduit au développement.
Quels sont les indicateurs de conformité ?
La très brève discussion ci-dessus indiquerait que l’un des indicateurs les plus importants pour cet objectif est la non-discrimination et l’assurance active des libertés, bien qu’il aborde également un ensemble de droits qui sont essentiels à son succès. Il y a donc trois grands domaines d’intervention : 1. le principe le plus fondamental de cet objectif est la non-discrimination, 2. sur la base de cette attention, il convient de prêter attention aux libertés fondamentales, et enfin, 3. des droits spécifiques doivent être accordés. Les engagements politiques pris dans le cadre de cet objectif sont mieux respectés grâce à un suivi institutionnel.
1- Non-discrimination (article 2 de la PIDCP, article 2 ICERD, article 2 CEDAW et HCR Gen Comm No 15 (1986) sur les conditions des étrangers)
Au-delà des hypothèses problématiques développées ci-dessus, l’objectif 19 semble émettre des hypothèses divergentes quant aux points d’action permettant de désigner un migrant susceptible de contribuer au développement durable et ce qui constitue un groupe de la diaspora. Les structures mises en place pour créer des conditions propices au développement durable doivent être conçues de manière à ce qu’aucun individu ni groupe ne soit victime de discrimination. Cela concerne des personnes ayant un statut juridique différent, mais également des présomptions sur la fidélité à ce qui est identifié comme pays d’origine, ce qui peut ne pas avoir de sens pour certains individus ou groupes qui souhaitent s’impliquer. Les migrants, au même titre que les groupes de la diaspora, ne sont pas homogènes : le succès est ainsi confirmé par le fait que les conditions créées permettent une grande diversité. Pour que les pays puissent s’assurer de cette diversité, il est possible de créer un organisme, tel qu’une institution des Droits de l’Homme, qui non seulement reçoit les plaintes, mais qui a pour mandat de surveiller de manière proactive la souplesse des modalités.
2- Libertés (conformément à la Charte des Nations Unies et à la Déclaration universelle des droits de l’homme)
Les libertés suivantes sont impératives pour la réussite de la mise en œuvre de cet objectif, afin de garantir que les actions relevant de l’objectif 19 puissent être contrôlées régulièrement par une institution des droits de l’Homme, également chargée de recevoir les plaintes et d’y répondre, et de mettre en place des organes de surveillance des libertés civiles.
2.1. Liberté d’ingérence / droit au respect de la vie privée (art. 12 DUDH)
Compte tenu de ce qui précède dans l’examen de la mise en œuvre et du succès potentiel de l’Objectif, des contrôles doivent être mis en place pour démontrer que les migrants et les groupes de la diaspora dans leur grande diversité ne sont pas obligés de contribuer au développement durable par les organisations gouvernementales et les organisations internationales. De même, si des individus et des groupes s’engagent dans le développement durable, ils le font en tant que personnes privées et des mesures doivent être mises en place pour soutenir de telles activités sans cooptation des migrants et des groupes de la diaspora. Le processus d’établissement du statut juridique ne devrait pas non plus être perturbé par des critères de conditionnalité douteux.
2.2. Liberté d’expression (articles 18 et 19 DUDH)
Les individus et les groupes ne sont pas neutres, ils s’engagent dans la durabilité et le développement issus d’un large éventail de perspectives politiques et représentant la diversité de la population. D’autres individus et groupes ont une grande diversité de capacités. Là où ils choisissent de s’engager et le font en collaboration ou aux côtés d’organes gouvernementaux ou intergouvernementaux, leur liberté d’expression doit être sauvegardée, car c’est la diversité et la circulation des idées qui assurent non seulement le développement grâce à l’innovation et la collaboration, mais aussi la paix en assurant un espace pour la diversité des voix et des perspectives.
2.3. Liberté de réunion (article 20 de la DUDH)
Tout comme il est crucial de garantir la liberté d’expression, il est également impératif que les individus et les groupes soient libres de se rencontrer et d’échanger des idées et des projets sans ingérence. En outre, lorsqu’on examine le succès de la mise en œuvre, il est clairement évident que toutes les contributions au développement durable acheminées par des organismes gouvernementaux ou internationaux sont inclusives. C’est-à-dire qu’il faut veiller à ce que les communautés locales et non-migrantes soient non seulement prises en compte, mais activement incluses.
2.4. Liberté de circulation (articles 13, 14 et 15 de la DUDH)
L’objectif aurait pu être formulé plus clairement quant à l’importance de permettre à tous les migrants et aux membres des groupes de la diaspora qui n’ont pas accès à la citoyenneté ou qui possèdent une double citoyenneté d’agir et de se déplacer sur la base d’un statut juridique légitime et sécurisé. Les migrants et les diasporas devraient avoir la liberté de circuler, ou au moins, ils ne devraient pas être empêchés de quitter et de retourner dans des lieux importants pour cette personne ou ce groupe. Les migrants se déplacent non pas vers deux points linéaires sur une carte mais des points multiples, les modalités – pour que cet objectif soit significatif – doivent faciliter cette mobilité de manière flexible.
3- Droits
3.1. Droit à l’éducation (Articles 13 et 14 du PIDESC)
Acquérir et partager des compétences est dans l’ensemble plus important pour le développement durable, comme le prévoit l’agenda 2030 pour le développement durable. Aux fins de cet objectif, veiller à ce que les individus améliorent leurs compétences au-delà de l’éducation de base est une condition préalable à la contribution au développement, car ils seront en mesure de disposer d’un plus large éventail de capacités à exploiter et à partager. Cela comprend, plus concrètement, par exemple, la création de places d’apprentissage financièrement viables et débouchant sur des emplois d’avenir.
3.2. Droit au travail (article 6 du PIDESC ; Convention internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, article 1 (2) de la Convention n ° 122 de l’OIT ; Convention de l’OIT sur l’égalité de rémunération (n ° 100) ; Convention de l’OIT sur la discrimination 111)
Ce n’est que lorsque les compétences d’une personne sont honorées et qu’elles peuvent être utilisées et développées que la durabilité peut être effective, dans tous les lieux de résidence et les relations qu’une personne entretient. Il est donc impératif, si l’on veut créer et faciliter les conditions d’une contribution au développement durable, d’assurer les conditions nécessaires pour qu’une personne puisse travailler et ce en toute sécurité.
Conclusion
Cet objectif, comme l’objectif 23, requiert une coopération ouverte des gouvernements afin de réellement “faciliter la mise en place de modalités flexibles” et de réaliser la circulation nécessaire des personnes, des biens et des idées nécessaires à la réalisation du développement durable. L’objectif 19 est accompli si l’on peut démontrer que le partenariat est encouragé, plutôt que les relations caractérisées par des hypothèses problématiques sur les personnes qui pourraient participer ou non au développement durable et qui sont heureuses et capables de contribuer. La surveillance, le contrôle et la procédure de plainte, assurés par les institutions sont essentiels à l’évaluation de la mise en œuvre de l’objectif 19. Le véritable test pour les gouvernements est leur volonté d’appliquer la liberté de mouvement de manière non discriminatoire.