Article de blog écrit par Izabella Majcher (docteur en droit international) [1] et publié en anglais sur le blog du Refugee Law Initiative examinant la mise en œuvre du Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière (PMM). Traduction réalisée par Clotilde Girard, Emmanuelle Daerys et Alice Bigot (Cliniciennes de la Clinique Juridique Hijra).
L’expulsion de migrants en situation irrégulière est l’une des mesures les plus sensibles en matière de réglementation de la migration.
Il appartient aux États de contrôler leurs frontières et de décider qui peut être admis et résider sur son territoire. Pourtant dans ce domaine de vastes pouvoirs souverains sont circonscrits par les obligations internationales des États, en particulier par le droit international relatif aux réfugiés et aux droits de l’homme. En outre, dans la pratique, les pays d’accueil ont besoin de la coopération des pays d’origine pour identifier les personnes sur le point de retourner et pour accepter les rapatriés après leur retour. Pour garantir cette coopération, utilisant des incitations et des pressions, de nombreux pays d’accueil ont incité les pays d’origine et de transit à signer une multitude d’accords de réadmission et d’accords de collaboration moins formels. Ces aspects du processus de retour sont reflétés dans l’objectif 21 du Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière (PMM).
L’objectif 21 prévoit trois séries d’engagements sous les rubriques « retour », « réadmission » et « réintégration ». En ce qui concerne le retour, les États s’engagent à faciliter un retour sûr et digne et à garantir une procédure régulière, une évaluation individuelle et un recours effectif en maintenant l’interdiction des expulsions collectives et du retour à une situation de violations graves des droits de l’homme. Dans le cadre du volet réadmission, les États s’engagent à recevoir et à réadmettre dûment leurs ressortissants. Enfin, les mesures visant la réintégration durable incluent la sécurité personnelle, l’autonomisation économique, l’inclusion et la cohésion sociale. L’objectif 21 (y compris les actions de mise en œuvre au titre des alinéas a) à i) du paragraphe 37) insiste beaucoup plus sur les engagements en matière de réadmission et de réintégration (et sur la coopération sous-jacente liée au retour bénéfique pour les pays d’accueil), qui incombent aux pays d’origine et sur les engagements liés au retour qui lient les pays hôtes.
Cet article de blog traite de la mise en œuvre de l’objectif 21 conformément au droit international des droits de l’homme. Les États s’engagent à respecter les engagements énoncés dans le PMM d’une manière compatible avec leurs obligations en vertu du droit international (§41). En outre, le pacte repose sur le droit international des droits de l’homme et repose sur les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. En mettant en œuvre le PMM, les États garantissent la protection et le respect effectifs des droits humains de tous les migrants, quel que soit leur statut migratoire, à tous les stades du cycle migratoire (§2 et 15 (f)).
Cet article propose six indicateurs permettant d’évaluer la mise en œuvre des engagements pris au titre de l’objectif 21 dans le respect des droits de l’homme, et de rationaliser les rapports des États au Forum international d’examen des migrations destinés à débattre de la mise en œuvre du PMM (§49). Certains États se seraient opposés à tout indicateur, soulignant le caractère non contraignant du Pacte ainsi que la direction par les Etats du Forum d’Examen. Cependant, bien que le PMM soit lui-même non contraignant, plusieurs questions qu’il aborde sont strictement réglementées par le droit international des droits de l’homme. La protection des migrants dans le contexte du retour en fait partie.
Les indicateurs proposés dans ce poste s’inspirent des dispositions de traités internationaux contraignants, notamment la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CCT), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention Internationale de Protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (CITM), tels que interprétés par leurs organes de contrôle. Les indicateurs appartiennent à trois catégories communes d’indicateurs des droits de l’homme, notamment les indicateurs de résultat, de processus et structurels. En raison de l’accent mis sur les droits de l’homme dans ce poste, les indicateurs se rapportent aux engagements pris au titre de l’objectif 21 qui sont fondés sur les obligations internationales des États ou sur des normes largement acceptées en matière de droits de l’homme. Par conséquent, tous les indicateurs, sauf le dernier, traitent des engagements incombant aux États hôtes.
1. Engagement à maintenir l’interdiction du retour à un risque réel de violations graves des droits de l’homme : principe de non-refoulement (y compris l’interdiction du refoulement indirect)) (CAT, art. 3 (1) ; PIDCP, art. 6- 7)
Au titre de l’objectif 21, les États s’engagent à maintenir l’interdiction de revenir à un risque prévisible de mort, de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En effet, tous les non-citoyens à qui le statut de réfugié a été refusé conformément à la Convention sur les réfugiés ne peuvent pas être légalement renvoyés. En vertu de la législation sur les droits de l’homme, l’interdiction du refoulement a un champ d’application plus large que celui de la législation sur les réfugiés et n’est soumise à aucune exclusion basée sur le comportement de la personne. Il est également interdit aux États de procéder à un refoulement indirect, c’est-à-dire d’envoyer une personne dans un pays intermédiaire (généralement de transit), qui peut ensuite la renvoyer dans un lieu où elle risque de subir de graves violations de ses droits fondamentaux. Le refoulement indirect risque de se produire au cours du retour sur la base d’accords de réadmission, qui prévoient la réadmission des personnes ayant transité sur le territoire des États parties. L’article 37 (a) du PMM se félicite des accords de réadmission concernant le retour dans le pays d’origine du migrant. Conformément à l’arrêt Korban c. Suède, décidé par le Comité contre la torture des Nations Unies, lorsqu’ils envisagent d’envoyer une personne dans un pays autre que son pays d’origine, les États devraient procéder à une évaluation à deux niveaux. Premièrement, ils devraient déterminer s’il existe un risque de mauvais traitements dans le pays d’origine de la personne et, deuxièmement, si l’État d’accueil peut envoyer la personne dans ce pays (§6-7).
Les indicateurs permettant d’évaluer la mise en œuvre de cet engagement peuvent inclure :
- Existe-t-il des dispositions légales nationales interdisant de manière absolue tout retour au risque de violation des droits fondamentaux de la personne ?
- Une procédure d’évaluation des risques à deux niveaux est-elle prévue dans la loi et appliquée à tous les retours vers des États intermédiaires ?
2. Engagement à maintenir l’interdiction des expulsions collectives : évaluation individuelle (y compris dans le contexte des procédures accélérées) (PIDCP, art.13 ; ICRMW, art.22 (1))
Selon l‘Observation générale n°15 du Comité des droits de l’homme des Nations unies (CDH), l’article 13 du PIDCP donne à chaque migrant le droit à une décision sur son cas, par conséquent une expulsion collective contreviendrait à cet article (§10). Conformément à l’Observation générale n°4 du Comité contre la torture, l’expulsion collective, sans un examen objectif des circonstances propres au risque de torture au retour, constitue une violation du principe de non-refoulement énoncé à l’article 3, paragraphe 1, de la CCT (§13). Les États sont liés par l’interdiction des expulsions collectives également dans le contexte des retours en vertu d’accords de réadmission. Ces accords prévoient souvent des procédures de retour accélérées basées sur des formulaires de retour standard et des règles d’identification simplifiées. Appliquées à l’ensemble des migrants, ces mesures peuvent conduire à une expulsion collective. Selon les recommandations du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture de 2018, les États devraient s’abstenir de tout retour collectif ou de tout rejet sommaire sans évaluation individualisée des risques, y compris par le biais d’accords de réadmission (§65 (h)).
Les indicateurs permettant d’évaluer la mise en œuvre de cet engagement peuvent inclure :
- Une procédure individuelle d’évaluation des risques est-elle prévue par la loi et appliquée à chaque personne devant être expulsée en tant que groupe ?
- Les procédures d’identification et d’évaluation des risques individuels mises en œuvre dans le contexte du retour sont-elles fondées sur des dispositions de réadmission ?
3. Engagement à garantir une procédure régulière, une évaluation individuelle et un recours effectif : garanties de procédure (PIDCP, art.2 (3) ; ICRMW, art.22)
Conformément à l‘Observation générale n ° 31 du CDH, l’article 2 (3) du PIDCP exige des États qu’ils s’assurent que les individus disposent de recours accessibles et efficaces pour faire valoir les droits du PIDCP (§15). Selon les conclusions du Comité CCT dans l’affaire Agiza c. Suède, le droit à un recours est consacré dans l’interdiction même du refoulement énoncée à l’article 3 (1) de la CCT et prévoit que les non-citoyens ont la possibilité de contrôle impartial de la décision de retour (§13 (7)). Comme le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des migrants (RSDHM) l’a recommandé dans son étude 2018 sur le retour et la réintégration des migrants, les États devraient veiller à ce que les migrants soient dûment entendus et aient accès à une assistance juridique et linguistique appropriée au cours de la procédure de retour (§92 (b)). Dans son Observation générale n ° 2, le RSDHM et le Comité des travailleurs migrants des Nations Unies soulignent que les procédures de recours devraient avoir un effet suspensif, c’est-à-dire impliquer le droit de rester en attente de révision (§53).
Les indicateurs permettant d’évaluer la mise en œuvre de cet engagement peuvent inclure :
- Le temps disponible pour contester la décision de retour.
- L’organe d’appel est-il indépendant des organes chargés de faire respecter le retour ?
- L’aide juridictionnelle est-elle accordée gratuitement à des non-citoyens sans moyens de s’en payer ?
- L’assistance linguistique est-elle accordée gratuitement aux non-citoyens ne parlant pas la langue du pays d’accueil ?
- La procédure de révision a-t-elle un effet suspensif ?
4. Engagement à faciliter un retour sûr et digne : priorité au retour volontaire (Etude sur le retour du RSDHM, §87 ; Projet d’articles de la CDI, art.21 (1))
Le soi-disant retour volontaire fait référence à une mesure en vertu de laquelle un non-citoyen contraint de quitter le territoire de l’État d’accueil est autorisé à le faire lui-même, plutôt que d’être escorté. Un tel retour, y compris les programmes de retour volontaire assistés exécutés par l’Organisation internationale pour les migrations, n’est pas véritablement volontaire, mais il est néanmoins préférable à un retour forcé pour assurer la sécurité et la dignité de la personne. Selon l’étude de 2018 du RSDHM sur le retour, les États devraient donner la priorité au retour volontaire et considérer le retour forcé comme la mesure de dernier recours (§87). Conformément au projet d’articles de 2014 sur l’expulsion des étrangers adopté par la Commission du droit international (CDI), les États devraient prendre les mesures appropriées pour faciliter le départ volontaire des non-ressortissants soumis au retour et leur accorder un délai raisonnable pour se préparer au départ (art.21 (1), (3)).
Les indicateurs permettant d’évaluer la mise en œuvre de cet engagement peuvent inclure :
- Les dispositions légales nationales définissent-elles le retour volontaire comme une option par défaut ?
- Les dispositions légales nationales énumèrent-elles de manière exhaustive les circonstances restrictives justifiant un retour forcé ?
- Durée moyenne de départ de l’État hôte.
- Pourcentage de retours volontaires par rapport à tous les retours effectués annuellement.
5. Engagement à faciliter un retour sûr et digne : Réglementation du retour forcé (PIDCP, art.6-7 ; CAT, art.16)
Le retour forcé comporte un risque inhérent à la sécurité et à la dignité de la personne. Pour réduire ce risque, les États devraient respecter scrupuleusement les règles régissant le recours autorisé à la force en vertu des instruments relatifs aux droits de l’homme pertinents. Le recours excessif à la force ou à des moyens de contrainte disproportionnés lors d’une expulsion est une violation des obligations des États découlant du droit à la vie ou de l’interdiction des mauvais traitements. En vertu des Principes de base de l’ONU de 1990 sur le recours à la force et aux armes à feu par les responsables de l’application des lois, le déploiement de mesures d’incapacité doit être soigneusement contrôlé et le recours à la force ne peut être utilisé que si d’autres moyens restent inefficaces ou ne permettent pas de parvenir au résultat souhaité (§3-4). Le principe de stricte proportionnalité applicable à l’usage de la force par les agents de la force publique devrait se traduire par un ensemble de garanties opérationnelles spécifiques à l’éloignement. Ils comprennent une surveillance indépendante des déménagements. Le PMM en tient compte, car aux termes du paragraphe 37 (f), les États devraient disposer de mécanismes de surveillance qui fournissent des recommandations indépendantes pour renforcer la responsabilité.
Les indicateurs permettant d’évaluer la mise en œuvre de cet engagement peuvent inclure :
- Le cadre juridique ou administratif national définit-il les circonstances limitées dans lesquelles le personnel expulsé peut-il avoir recours à la force et réglemente-t-il strictement les moyens de contrainte autorisés ?
- Existe-t-il des programmes de formation annuels pour le personnel déporté ?
- La surveillance est-elle exercée par une organisation indépendante des autorités chargées de veiller au retour et couvre-t-elle toutes les phases du processus d’expulsion ?
- Les procédures de plainte pour mauvais traitements lors d’une expulsion sont-elles accessibles depuis l’étranger ?
- Si le déplacement est effectué par un acteur non étatique (entreprise privée ou organisation internationale telle que l’agence des frontières de l’UE, Frontex), quelle entité est responsable des violations des droits des expulsés ?
6. Engagement à recevoir dûment les ressortissants qui reviennent au pays : interdiction de pénaliser « l’émigration irrégulière » (PIDCP, art.12)
Cet engagement exprime directement le droit de chacun d’entrer dans son propre pays en vertu de l’article 12 (4) du PIDCP. Cependant, le fait de recevoir dûment ses ressortissants de retour implique également le devoir d’assurer leur sécurité lors de leur retour. Pourtant, plusieurs pays d’origine ou de transit de migrants arrivant irrégulièrement dans l’UE, par exemple, imposent des conditions de sortie et considèrent le fait de violer ces règles ou de tenter d’entrer dans d’autres pays sans documents appropriés comme une infraction. À leur retour, les ressortissants de ces pays sont passibles de sanctions pénales, notamment d’une peine d’emprisonnement, pour avoir commis ces infractions. Comme l’ont observé des universitaires, l’Algérie, le Cameroun, le Maroc et la Tunisie ont commencé à sanctionner « l’émigration irrégulière » quelques années seulement après avoir signé des accords de coopération avec des pays européens. Ces mesures tendent à violer le droit de chacun de quitter tout pays, y compris le sien, au titre de l’article 12 (2) du PIDCP. Comme l’explique l’Observation générale n°27 du CDH, les restrictions à ce droit en vertu de l’article 12 (3) du PIDCP ne sont justifiables que dans des circonstances exceptionnelles (§11). Pour être admises, des limitations devraient être prévues par la loi, imposées pour l’un des motifs légitimes (protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé publique ou de la morale ou des droits et libertés d’autrui) et nécessaires pour atteindre ces motifs. Les restrictions à la liberté de quitter un pays avec l’intention de migrer de manière irrégulière vers un autre ne servent aucun de ces objectifs légitimes. En particulier, le non-respect des conditions d’entrée ou de séjour des pays de destination ne peut être considéré comme une menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale des pays de départ.
Les indicateurs permettant d’évaluer la mise en œuvre de cet engagement peuvent inclure :
- Existe-t-il des restrictions légales ou pratiques à la sortie ?
- La sécurité du rapatrié au retour (y compris le retour forcé) est-elle garantie ?
[1] Dr Izabella Majcher, affiliée de recherche de l’Initiative pour le droit des réfugiés, spécialisée dans les politiques d’immigration et d’asile de l’UE. Izabella est chercheuse au Global Detention Project et visiteuse bénévole de détenus de l’immigration avec la Ligue Suisse des Droits de l’Homme. Elle est titulaire d’un doctorat en droit international de l’Institut de hautes études en études internationales et du développement (IHEID) à Genève.